Page:Bergson - Matière et mémoire.djvu/115

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cellules où reposent les souvenirs[1]. À vrai dire, c’est dans des hypothèses physiologiques de ce genre que viennent se perdre, bon gré mal gré, toutes ces théories de la reconnaissance. Elles veulent faire sortir toute reconnaissance d’un rapproche­ment entre la perception et le souvenir ; mais d’autre part l’expérience est là, qui témoigne que, le plus souvent, le souvenir ne surgit qu’une fois la percep­tion reconnue. Force est donc bien de rejeter dans le cerveau, sous forme de combinaison entre des mouvements ou de liaison entre des cellules, ce qu’on avait annoncé d’abord comme une association entre des représentations, et d’expliquer le fait de la reconnaissance — très clair selon nous — par l’hypothèse à notre avis très obscure d’un cerveau qui emmagasinerait des idées.

Mais en réalité l’association d’une perception à un souvenir ne suffit pas du tout à rendre compte du processus de la reconnaissance. Car si la reconnais­sance se faisait ainsi, elle serait abolie quand les anciennes images ont disparu, elle aurait toujours lieu quand ces images sont conservées. La cécité psychi­que, ou impuissance à reconnaître les objets aperçus, n’irait donc pas sans une inhibition de la mémoire visuelle, et surtout l’inhibition de la mémoire visuelle aurait invariablement pour effet la cécité psychique. Or, l’expérience ne vérifie ni l’une ni l’autre de ces deux conséquences. Dans un cas étudié par Wilbrand[2], la malade pouvait, les yeux fermés, décrire la ville qu’elle habitait et s’y promener en imagination : une fois dans la rue, tout lui semblait nou­veau ; elle ne

  1. MUNK, Ueber die Functionen der Grosshirnrinde, Berlin, 1881, p. 108 et suiv.
  2. Die Seelenblindheit ais Herderscheinung, Wiesbaden, 1887, p. 56.