Page:Bergson - Matière et mémoire.djvu/137

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des mots  : 1º un processus automatique sensori-moteur ; 2º une projection active et pour ainsi dire excentrique de souvenirs-images.

J’écoute deux personnes converser dans une langue inconnue. Cela suffit-il pour que je les entende ? Les vibrations qui m’arrivent sont les mêmes qui frappent leurs oreilles. Pourtant je ne perçois qu’un bruit confus où tous les sons se ressemblent. Je ne distingue rien et ne pourrais rien répéter. Dans cette même masse sonore, au contraire, les deux interlocuteurs démêlent des con­sonnes, voyelles et syllabes qui ne se ressemblent guère, enfin des mots distincts. Entre eux et moi, où est la différence ?

La question est de savoir comment la connaissance d’une langue, qui n’est que souvenir, peut modifier la matérialité d’une perception présente, et faire actuellement entendre aux uns ce que d’autres, dans les mêmes conditions physiques, n’entendent pas. On suppose, il est vrai, que les souvenirs auditifs des mots, accumulés dans la mémoire, répondent ici à l’appel des impressions sonores et viennent en renforcer l’effet. Mais si la conversation que j’entends n’est pour moi qu’un bruit, on peut, autant qu’on voudra, supposer le son ren­forcé : le bruit, pour être plus fort, n’en sera pas plus clair. Pour que le souve­nir du mot se laisse évoquer par le mot entendu, il faut au moins que l’oreille entende le mot. Comment les sons perçus parleront-ils à la mémoire, comment choisiront-ils, dans le magasin des images auditives, celles qui doivent se poser sur eux, s’ils n’ont pas déjà été séparés, distingués, perçus enfin comme syllabes et comme mots ?

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