Page:Bergson - Matière et mémoire.djvu/140

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détail qui avait passé inaperçu ; elle fait qu’il divise et qu’il classe ; elle lui souligne l’essentiel ; elle retrouve une à une, dans le mouvement total, les lignes qui en marquent la structure intérieure. En ce sens, un mouvement est appris dès que le corps l’a compris.

C’est ainsi qu’un accompagnement moteur de la parole entendue romprait la continuité de cette masse sonore. Reste à savoir en quoi cet accompagne­ment consiste. Est-ce la parole même, reproduite intérieurement ? Mais l’en­fant saurait alors répéter tous les mots que son oreille distingue ; et nous-mêmes, nous n’aurions qu’à comprendre une langue étrangère pour la pronon­cer avec l’accent juste. Il s’en faut que les choses se passent aussi simplement. Je puis saisir une mélodie, en suivre le dessin, la fixer même dans ma mémoire, et ne pas savoir la chanter. Je démêle sans peine des particularités d’inflexion et d’intonation chez un Anglais parlant allemand — je le corrige donc intérieurement ; — il ne suit pas de là que je donnerais l’inflexion et l’into­nation justes à la phrase allemande si je parlais. Les faits cliniques viennent d’ailleurs confirmer ici l’observation journalière. On peut encore suivre et comprendre la parole alors qu’on est devenu incapable de parler. L’aphasie motrice n’entraîne pas la surdité verbale.

C’est que le schème, au moyen duquel nous scandons la parole entendue, en marque seulement les contours saillants. Il est à la parole même ce que le croquis est au tableau achevé. Autre chose est, en effet, comprendre un mou­vement difficile, autre chose pouvoir l’exécuter. Pour le comprendre, il suffit d’en réaliser l’essentiel, juste assez pour le distinguer des autres mouvements possibles. Mais pour savoir l’exécuter, il