Page:Bergson - Matière et mémoire.djvu/144

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me d’une lésion dans les voies conduc­trices de la perception ne nous dispenserait pas de chercher l’interprétation psychologique du phénomène. Par hypothèse, en effet, les souvenirs auditifs peuvent être rappelés à la conscience ; par hypothèse aussi les impressions auditives arrivent à la conscience : il doit donc y avoir, dans la conscience même, une lacune, une solution de continuité, quelque chose enfin qui s’oppo­se à la jonction de la perception et du souvenir. Or, le fait s’éclaircira si l’on remarque que la perception auditive brute est véritablement celle d’une conti­nuité sonore, et que les connexions sensori-motrices établies par l’habitude doivent avoir pour rôle, à l’état normal, de la décomposer : une lésion de ces mécanismes conscients, en empêchant la décomposition de se faire, arrêterait net l’essor des souvenirs qui tendent à se poser sur les perceptions corres­pondantes. C’est donc sur le « schème moteur » que pourrait porter la lésion. Qu’on passe en revue les cas, assez rares d’ailleurs, de surdité verbale avec conservation des souvenirs acoustiques : on notera, croyons-nous, certains détails caractéristiques à cet égard. Adler signale comme un fait remarquable dans la surdité verbale que les malades ne réagissent plus aux bruits, même intenses, alors que l’ouïe a conservé chez eux la plus grande finesse[1]. En d’autres termes, le son ne trouve plus chez eux son écho moteur. Un malade de Charcot, atteint de surdité verbale passagère, raconte qu’il entendait bien le timbre de sa pendule, mais qu’il n’aurait pas pu compter les coups sonnés[2]. Il n’arrivait donc pas, probablement, à les sé

  1. ADLER, Beitrag zur Kenntniss der seltneren Formen von sensorischer Aphasie Neurol. Centralblatt, 1891, pp. 296 et 297).
  2. BERNARD, De l’aphasie, Paris, 1889, p. 143.