Page:Bergson - Matière et mémoire.djvu/151

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induisent les hypnotiseurs[1]. — Tout autres sont les aphasies du second genre, les aphasies véritables. Elles tiennent, comme nous essaierons de le montrer tout à l’heure, à la diminution progressive d’une fonction bien localisée, la faculté d’actualiser les souvenirs de mots. Comment expliquer que l’amnésie suive ici une marche méthodique, commençant par les noms propres et finissant par les verbes ? On n’en verrait guère le moyen, si les images verbales étaient véritablement déposées dans les cellules de l’écorce : ne serait-il pas étrange, en effet, que la maladie entamât toujours ces cellules dans le même ordre[2] ? Mais le fait s’éclaircira si l’on admet avec nous que les souvenirs, pour s’actualiser, ont besoin d’un adjuvant moteur, et qu’ils exigent, pour être rappelés, une espèce d’attitude mentale insérée elle-même dans une attitude corporelle. Alors les verbes, dont l’essen­ce est d’exprimer des actions imitables, sont précisément les mots qu’un effort corporel nous permettra de ressaisir quand la fonction du langage sera près de nous échapper : au contraire les noms propres, étant, de tous les mots, les plus éloignés de ces actions impersonnelles que notre corps peut esquisser, sont ceux qu’un affaiblissement de la fonction atteindrait d’abord. Notons ce fait singulier qu’un aphasique, devenu régulièrement incapable de jamais retrouver le substantif qu’il cherche, le remplacera par une périphrase approprié

  1. Voir le cas de Grashey, étudié à nouveau par Sommer, et que celui-ci déclare inexpli­cable dans l’état actuel des théories de l’aphasie. Dans cet exemple, les mouvements exécutés par le sujet ont tout l’air d’être des signaux adressés à une mémoire Indépen­dante. (SOMMER, Zur Psychologie der Spraehe, Zeitschr. f. Psycholé. u. Physiol. der Sinnesorgane, t. II, 1891, p. 143 et suiv. —Cf. la communication de SOMMER au Congrès des aliénistes allemands, Arch. de Neurologie, t. XXIV, 1892.)
  2. WUNDT, Psychologie physiologique, t. 1. p. 239.