Page:Bergson - Matière et mémoire.djvu/163

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d’une part, que l’image auditive remémorée mette en branle les mêmes éléments nerveux que la perception première, et que le souvenir se transforme ainsi graduelle­ment en perception. Et l’on comprend aussi, d’autre part, que la faculté de se remémorer des sons complexes, tels que les mots, puisse intéresser d’autres parties de la substance nerveuse que la faculté de les percevoir : c’est pourquoi l’audition réelle survit, dans la surdité psychique, à l’audition mentale. Les cordes sont encore là, et sous l’influence des sons extérieurs elles vibrent encore ; c’est le clavier intérieur qui manque.

En d’autres termes enfin, les centres où naissent les sensations élémen­taires peuvent être actionnés, en quelque sorte, de deux côtés différents, par devant et par derrière. Par devant ils reçoivent les impressions des organes des sens et par conséquent d’un objet réel ; par derrière ils subissent, d’intermé­diaire en intermédiaire, l’influence d’un objet virtuel. Les centres d’images, s’ils existent, ne peuvent être que les organes symétriques des organes des sens par rapport à ces centres sensoriels. Ils ne sont pas plus dépositaires des souvenirs purs, c’est-à-dire des objets virtuels, que les organes des sens ne sont dépositaires des objets réels.

Ajoutons que c’est là une traduction, infiniment abrégée, de ce qui peut se passer en réalité. Les diverses aphasies sensorielles prouvent assez que l’évocation d’une image auditive n’est pas un acte simple. Entre l’intention, qui serait ce que nous appelons le souvenir pur, et l’image-souvenir auditive pro­prement dite, viennent s’intercaler le plus souvent des souvenirs intermé­diaires, qui doivent d’abord se réaliser en images-