Page:Bergson - Matière et mémoire.djvu/183

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bond, toute la partie intermédiaire du passé échappe à ses prises. Les mêmes raisons qui font que nos perceptions se disposent en continuité rigoureuse dans l’espace font donc que nos souvenirs s’éclairent d’une manière disconti­nue dans le temps. Nous n’avons pas affaire, en ce qui concerne les objets inaperçus dans l’espace et les souvenirs inconscients dans le temps, à deux formes radicalement différentes de l’existence ; mais les exigences de l’action sont inverses, dans un cas, de ce qu’elles sont dans l’autre.

Mais nous touchons ici au problème capital de l’existence, problème que nous ne pouvons qu’effleurer, sous peine d’être conduits, de question en question, au cœur même de la métaphysique. Disons simplement qu’en ce qui concerne les choses de l’expérience, — les seules qui nous occupent ici, —l’exis­tence paraît impliquer deux conditions réunies : 1º la présentation à la conscience, 2º la connexion logique ou causale de ce qui est ainsi présenté avec ce qui précède et ce qui suit. La réalité pour nous d’un état psychologique ou d’un objet matériel consiste dans ce double fait que notre conscience les perçoit et qu’ils font partie d’une série, temporelle ou spatiale, où les termes se déterminent les uns les autres. Mais ces deux conditions admettent des degrés, et on conçoit que, nécessaires l’une et l’autre, elles soient inégalement rem­plies. Ainsi, dans le cas des états internes actuels, la connexion est moins étroite, et la détermination du présent par le passé, laissant une large place à la contingence, n’a pas le caractère d’une dérivation mathématique ; — en revan­che, la présentation à la conscience est parfaite, un état psychologique actuel nous livrant la totalité de son contenu dans l’acte même par lequel nous l’apercevons. Au contraire, s’il s’agit des objets exté