Page:Bergson - Matière et mémoire.djvu/194

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unique des perceptions et qui ne se rapportent que de très loin à des objets matériels. Nous les laisserons de côté, pour n’envisager que les idées générales fondées sur ce que nous appelons la perception des ressemblances. Nous voulons suivre la mémoire pure, la mémoire intégrale, dans l’effort continu qu’elle fait pour s’insérer dans l’habitude motrice. Par là nous ferons mieux connaître le rôle et la nature de cette mémoire ; mais par là aussi nous éclaircirons peut-être, en les considé­rant sous un aspect tout particulier, les deux notions également obscures de ressemblance et de généralité.

En serrant d’aussi près que possible les difficultés d’ordre psychologique soulevées autour du problème des idées générales, on arrivera, croyons-nous, à les enfermer dans ce cercle : pour généraliser il faut d’abord abstraire, mais pour abstraire utilement il faut déjà savoir généraliser. C’est autour de ce cercle que gravitent, consciemment ou inconsciemment, nominalisme et con­ceptualisme, chacune des deux doctrines ayant surtout pour elle l’insuffisance de l’autre. Les nominalistes, en effet, ne retenant de l’idée générale que son extension, voient simplement en elle une série ouverte et indéfinie d’objets individuels. L’unité de l’idée ne pourra donc consister pour eux que dans l’identité du symbole par lequel nous désignons indifféremment tous ces objets distincts. S’il faut les en croire, nous commençons par percevoir une chose, puis nous lui adjoignons un mot : ce mot, renforcé de la faculté ou de l’habitude de s’étendre à un nombre indéfini d’autres choses, s’érige alors en idée générale. Mais pour que le mot s’étende et néanmoins se limite ainsi aux objets qu’il désigne, encore faut-il que ces objets nous présentent des ressem­blances qui, en les rapprochant les uns des autres, les distinguent