Page:Bergson - Matière et mémoire.djvu/205

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Mais il y en a un second, et c’est celui-là précisément que nous avons indiqué dans notre théorie de la recon­naissance. Nous avons supposé que notre personnalité tout entière, avec la totalité de nos souvenirs, entrait, indivisée, dans notre perception présente. Alors, si cette perception évoque tour à tour des souvenirs différents, ce n’est pas par une adjonction mécanique d’éléments de plus en plus nombreux qu’elle attirerait, immobile, autour d’elle ; c’est par une dilatation de notre conscience tout entière, qui, s’étalant alors sur une plus vaste surface, peut pousser plus loin l’inventaire détaillé de sa richesse. Tel, un amas nébuleux, vu dans des télescopes de plus en plus puissants, se résout en un nombre croissant d’étoi­les. Dans la première hypothèse (qui n’a guère pour elle que son apparente simplicité et son analogie avec un atomisme mal compris), chaque souvenir constitue un être indépendant et figé, dont on ne peut dire ni pourquoi il vise à s’en agréger d’autres, ni comment il choisit, pour se les associer en vertu d’une contiguïté ou d’une ressemblance, entre mille souvenirs qui auraient des droits égaux. Il faut supposer que les idées s’entre-choquent au hasard, ou qu’il s’exerce entre elles des forces mystérieuses, et l’on a encore contre soi le témoignage de la conscience, qui ne nous montre jamais des faits psycho­logiques flottant à l’état indépendant. Dans la seconde, on se borne à constater la solidarité des faits psychologiques, toujours donnés ensemble à la con­science immédiate comme un tout indivisé que la réflexion seule morcelle en fragments distincts. Ce qu’il faut expliquer alors, ce n’est plus la cohésion des états internes, mais le double mouvement de contraction et d’expansion par lequel la conscience resserre ou élargit le développement de son contenu.