Page:Bergson - Matière et mémoire.djvu/218

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pouvait occasion­ner cet affaiblissement, sans qu’il faille supposer en aucune manière une provision de souvenirs accumulée dans le cerveau. Ce qui est réellement atteint, ce sont les régions sensorielles et motrices correspondant à ce genre de perception, et surtout les annexes qui permettent de les actionner intérieu­rement, de sorte que le souvenir, ne trouvant plus à quoi se prendre, finit par devenir pratiquement impuissant : or, en psychologie, impuissance signifie inconscience. Dans tous les autres cas, la lésion observée ou supposée, jamais nettement localisée, agit par la perturbation qu’elle apporte à l’ensemble des connexions sensori-motrices, soit qu’elle altère cette masse soit qu’elle la fragmente : d’où une rupture ou une simplification de l’équilibre intellectuel, et, par ricochet, le désordre ou la disjonction des souvenirs. La doctrine qui fait de la mémoire une fonction immédiate du cerveau, doctrine qui soulève des difficultés théoriques insolubles, doctrine dont la complication défie toute imagination et dont les résultats sont incompatibles avec les données de l’observation intérieure, ne peut donc même pas compter sur l’appui de la pathologie cérébrale. Tous les faits et toutes les analogies sont en faveur d’une théorie qui ne verrait dans le cerveau qu’un intermédiaire entre les sensations et les mouvements, qui ferait de cet ensemble de sensations et de mouvements la pointe extrême de la vie mentale, pointe sans cesse insérée dans le tissu des événements, et qui, attribuant ainsi au corps l’unique fonction d’orienter la mémoire vers le réel et de la relier au présent, considérerait cette mémoire même comme absolument indépendante de la matière. En ce sens le cerveau contribue à rappeler le souvenir utile, mais plus encore à écarter provisoire­ment