Page:Bergson - Matière et mémoire.djvu/222

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

et non plus commune, parce que nous avons toujours bien des souvenirs différents capables de cadrer également avec une même situation actuelle, et que la nature ne peut pas avoir ici, comme dans le cas de la perception, une règle inflexible pour délimiter nos représentations. Une certaine marge est donc nécessairement laissée cette fois à la fantaisie ; et si les animaux n’en profitent guère, captifs qu’ils sont du besoin matériel, il semble qu’au contraire l’esprit humain presse sans cesse avec la totalité de sa mémoire contre la porte que le corps va lui entr’ouvrir : de là les jeux de la fantaisie et le travail de l’imagination, — autant de libertés que l’esprit prend avec la nature. Il n’en est pas moins vrai que l’orientation de notre conscience vers l’action paraît être la loi fondamentale de notre vie psychologique.

Nous pourrions à la rigueur nous en tenir là, car c’est pour définir le rôle du corps dans la vie de l’esprit que nous avions entrepris ce travail. Mais d’un côté nous avons soulevé en route un problème métaphysique que nous ne pouvons nous décider à laisser en suspens, et d’autre part nos recherches, quoique surtout psychologiques, nous ont laissé entrevoir à diverses reprises, sinon un moyen de résoudre le problème, au moins un côté par où l’aborder.

Ce problème n’est rien moins que celui de l’union de l’âme au corps. Il se pose à nous sous une forme aiguë, parce que nous distinguons profondément la matière de l’esprit. Et nous ne pouvons le tenir pour insoluble, parce que nous définissons esprit et matière par des caractères positifs, non par des néga­tions. C’est bien véritablement dans la matière que la perception pure nous placerait, et bien réellement dans l’esprit même que nous pénétrerions déjà avec la mémoire.