Page:Bergson - Matière et mémoire.djvu/237

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non est peut-être le quatrième (le Stade), qu’on a, croyons-nous, bien injustement dédaigné, et dont l’absurdité n’est plus manifeste que parce qu’on y voit étalé dans toute sa franchise le postulat dissimulé dans les trois autres[1]. Sans nous engager ici dans une discussion qui ne serait pas à sa place, bornons-nous à constater que le mouvement immédiatement perçu est un fait très clair, et que les difficultés ou contradictions signalées par l’école d’Élée concernent beau­coup moins le mouvement lui-même qu’une réorganisation artificielle, et non viable, du mouvement par l’esprit. Tirons d’ailleurs la conclusion de tout ce qui précède :

II.- Il y a des mouvements réels.

Le

  1. Rappelons brièvement cet argument. Soit un mobile qui se déplace avec une certaine vitesse et qui passe simultanément devant deux corps dont l’un est immobile et dont l’autre se meut à sa rencontre avec la même vitesse que lui. En même temps qu’il parcourt une certaine longueur du premier corps, il franchit naturellement une longueur double du second. D’où Zénon conclut « qu’une durée est double d’elle-même » . — Raisonnement puéril, dit-on, puisque Zénon ne tient pas compte de ce que la vitesse est double, dans un cas, de ce qu’elle est dans l’autre. — D’accord, mais comment, je vous prie, pourrait-il s’en apercevoir ? Que, dans le même temps, un mobile parcoure des longueurs différentes de deux corps dont l’un est en repos et l’autre en mouvement, cela est clair pour celui qui fait de la durée une espèce d’absolu, et la met soit dans la conscience soit dans quelque chose qui participe de la conscience. Pendant qu’une portion déterminée de cette durée con­sciente ou absolue s’écoule, en effet, le même mobile parcourra, le long des deux corps, deux espaces doubles l’un de l’autre, sans qu’on puisse conclure de là qu’une durée est double d’elle-même, puisque la durée reste quelque chose d’indépendant de l’un et l’autre espace. Mais le tort de Zénon, dans toute son argumentation, est justement de laisser de côté la durée vraie pour n’en considérer que la trace objective dans l’espace. Comment les deux traces laissées par le même mobile ne mériteraient-elles pas alors une égale consi­dération, en tant que mesures de la durée ? Et comment ne représenteraient-elles pas la même durée, lors même qu’elles seraient doubles l’une de l’autre ? En concluant de là qu’une durée « est double d’elle-même » Zénon restait dans la logique de son hypothèse, et son quatrième argument vaut exactement autant que les trois autres.