Page:Bergson - Matière et mémoire.djvu/250

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mesure, un dénominateur commun permettant de comparer entre eux tous les mouvements réels ; mais ces mouvements, envisagés en eux-mêmes, sont des indivisibles qui occupent de la durée, supposent un avant et un après, et relient les moments successifs du temps par un fil de qualité variable qui ne doit pas être sans quelque analogie avec la continuité de notre propre conscience. Ne pouvons-nous pas concevoir, par exemple, que l’irréductibilité de deux couleurs aperçues tienne surtout à l’étroite durée où se contractent les trillions de vibrations qu’elles exécutent en un de nos instants ? Si nous pouvions étirer cette durée, c’est-à-dire la vivre dans un rythme plus lent, ne verrions-nous pas, à mesure que ce rythme se ralentirait, les couleurs pâlir et s’allonger en impressions successives, encore colorées sans doute, mais de plus en plus près de se confondre avec des ébranlements purs ? Là où le rythme du mouvement est assez lent pour cadrer avec les habitudes de notre conscience, — comme il arrive pour les notes graves de la gamme par exemple, — ne sentons-nous pas la qualité perçue se décomposer d’elle-même en ébranlements répétés et suc­cessifs, reliés entre eux par une continuité intérieure ? Ce qui nuit d’ordinaire au rapprochement, c’est l’habitude prise d’attacher le mouvement à des éléments, — atomes ou autres, — qui interposeraient leur solidité entre le mouve­ment lui-même et la qualité en laquelle il se contracte. Comme notre expérience journalière nous montre des corps qui se meuvent, il nous semble que, pour soutenir les mouvements élémentaires auxquels les qualités se ramènent, il faille au moins des corpuscules. Le mouvement n’est plus alors pour notre imagination qu’un accident, une série de positions, un