Page:Bergson - Matière et mémoire.djvu/251

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changement de rapports ; et comme c’est une loi de notre représentation que le stable y déplace l’instable, l’élément important et central devient pour nous l’atome, dont le mouvement ne ferait plus que relier les positions successives. Mais cette conception n’a pas seulement l’inconvénient de ressusciter pour l’atome tous les problèmes que la matière soulève ; elle n’a pas seulement le tort d’attribuer une valeur absolue à cette division de la matière qui paraît surtout répondre aux besoins de la vie ; elle rend encore inintelligible le processus par lequel nous saisissons dans notre perception, tout à la fois, un état de notre conscience et une réalité indépendante de nous. Ce caractère mixte de notre perception immédiate, cette apparence de contradiction réalisée, est la princi­pale raison théorique que nous ayons de croire à un monde extérieur qui ne coïncide pas absolument avec notre perception ; et comme on la méconnaît dans une doctrine qui rend la sensation tout à fait hétérogène aux mouvements dont elle ne serait que la traduction consciente, cette doctrine devrait, semble-t-il, s’en tenir aux sensations, dont elle a fait l’unique donnée, et ne pas leur adjoindre des mouvements qui, sans contact possible avec elles, n’en sont plus que le duplicat inutile. Le réalisme ainsi entendu se détruit donc lui-même. En définitive nous n’avons pas le choix : si notre croyance à un substrat plus ou moins homogène des qualités sensibles est fondée, ce ne peut être que par un acte qui nous ferait saisir ou deviner, dans la qualité même, quelque chose qui dépasse notre sensation, comme si cette sensation était grosse de détails soup­çonnés et inaperçus. Son objectivité, c’est-à-dire ce qu’elle a de plus qu’elle ne donne, consistera précisément alors, comme nous le