Page:Bergson - Matière et mémoire.djvu/261

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

conceptions erronées de la qualité sensible et de l’espace sont si profondément enracinées dans l’esprit qu’on ne saurait les attaquer sur un trop grand nombre de points à la fois. Disons donc, pour en découvrir un nouvel aspect, qu’elles impliquent ce double postulat, également accepté par le réalisme et par l’idéalisme : 1º entre divers genres de qualités il n’y a rien de commun ; 2º il n’y a rien de commun, non plus, entre l’étendue et la qualité pure. Nous prétendons au contraire qu’il y a quelque chose de commun entre des qualités d’ordre différent, qu’elles participent toutes de l’étendue à des degrés divers, et qu’on ne peut méconnaître ces deux vérités sans embarrasser de mille difficultés la métaphysique de la matière, la psychologie de la percep­tion, et plus généralement la question des rapports de la conscience avec la matière. Sans insister sur ces conséquences, bornons-nous pour le moment à montrer, au fond des diverses théories de la matière, les deux postulats que nous contestons, et remontons à l’illusion d’où ils procèdent.

L’essence de l’idéalisme anglais est de tenir l’étendue pour une propriété des perceptions tactiles. Comme il ne voit dans les qualités sensibles que des sensations, et dans les sensations elles-mêmes que des états d’âme, il ne trouve rien, dans les qualités diverses, qui puisse fonder le parallélisme de leurs phénomènes : force lui est donc bien d’expliquer ce parallélisme par une habitude, qui fait que les perceptions actuelles de la vue, par exemple, nous suggèrent des sensations possibles du toucher. Si les impressions de deux sens différents ne se ressemblent pas plus que les mots de deux langues, c’est en vain qu’on chercherait à déduire les données de l’un des données de l’autre ; elles n’ont pas d’élément commun.