Page:Bergson - Matière et mémoire.djvu/263

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tendue se rap­porte au toucher ? On pourra, à la rigueur, refuser l’extension aux données de l’ouïe, de l’odorat et du goût ; mais il faudra au moins expliquer la genèse d’un espace visuel, correspondant à l’espace tactile. On allègue, il est vrai, que la vue finit par devenir symbolique du toucher, et qu’il n’y a rien de plus, dans la perception visuelle des rapports d’espace, qu’une suggestion de perceptions tactiles. Mais on nous fera difficilement comprendre comment la perception visuelle du relief, par exemple, perception qui fait sur nous une impression sui generis, d’ailleurs indescriptible, coïncide avec le simple souvenir d’une sensa­tion du toucher. L’association d’un souvenir à une perception présente peut compliquer cette perception en l’enrichissant d’un élément connu, mais non pas créer un nouveau genre d’impression, une nouvelle qualité de perception : or la perception visuelle de relief présente un caractère absolument original. Dira-t-on qu’on donne l’illusion du relief avec une surface plate ? On établira par là qu’une surface, où les jeux d’ombre et de lumière de l’objet en relief sont plus ou moins bien imités, suffit à nous rappeler le relief ; mais encore faut-il, pour que le relief soit rappelé, qu’il ait été d’abord pour tout de bon perçu. Nous l’avons déjà dit, mais nous ne saurions trop le répéter : nos théories de la perception sont tout entières viciées par cette idée que si un certain dispositif produit, à un moment donné, l’illusion d’une certaine perception, il a toujours pu suffire à produire cette perception même ; — comme si le rôle de la mé­moire n’était pas justement de faire survivre la complexité de l’effet à la simplification de la cause ! Dira-t-on que la rétine est elle-même une surface plate, et que si nous percevons par la vue quelque chose d’étendu, ce ne peut être en tout