Page:Bergson - Matière et mémoire.djvu/285

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

me aussi bien que sur les autres. Dans notre perception entrera donc quelque chose de notre corps. Toutefois, lors­qu’il s’agit des corps environnants, ils sont, par hypothèse, séparés du nôtre par un espace plus ou moins considérable, qui mesure l’éloignement de leurs promesses ou de leurs menaces dans le temps : c’est pourquoi notre perception de ces corps ne dessine que des actions possibles. Au contraire, plus la distance décroît entre ces corps et le nôtre, plus l’action possible tend à se transformer en action réelle, l’action devenant d’autant plus urgente que la distance est moins considérable. Et quand cette distance devient nulle, c’est-à-dire quand le corps à percevoir est notre propre corps, c’est une action réelle, et non plus virtuelle, que la perception dessine. Telle est précisément la nature de la douleur, effort actuel de la partie lésée pour remettre les choses en place, effort local, isolé, et par là même condamné à l’insuccès dans un organisme qui n’est plus apte qu’aux effets d’ensemble. La douleur est donc à l’endroit où elle se produit, comme l’objet est à la place où il est perçu. Entre l’affection sentie et l’image perçue, il y a cette différence que l’affection est dans notre corps, l’image hors de notre corps. Et c’est pourquoi la surface de notre corps, limite commune de ce corps et des autres corps, nous est donnée à la fois sous forme de sensations et sous forme d’image.

Dans cette intériorité de la sensation affective consiste sa subjectivité, dans cette extériorité des images en général leur objectivité. Mais nous retrouvons ici l’erreur sans cesse renaissante que nous avons poursuivie à travers tout le cours de notre travail. On veut que sensation et perception existent pour elles-mêmes ; on leur attribue un rôle tout spéculatif ; et