Page:Bergson - Matière et mémoire.djvu/41

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conséquent, de se perdre en réactions motrices innombrables, simplement naissantes. Ainsi le rôle du cerveau est tantôt de conduire le mouvement recueilli à un organe de réaction choisi, tantôt d’ouvrir à ce mouvement la totalité des voies motrices pour qu’il y dessine toutes les réactions possibles dont il est gros, et pour qu’il s’analyse lui-même en se dispersant. En d’autres termes, le cerveau nous paraît être un instrument d’analyse par rapport au mouvement recueilli et un instrument de sélection par rapport au mouvement exécuté. Mais dans un cas comme dans l’autre, son rôle se borne à transmettre et à diviser du mouvement. Et, pas plus dans les centres supérieurs de l’écorce que dans la moelle, les éléments nerveux ne travaillent en vue de la connaissance : ils ne font qu’esquisser tout d’un coup une pluralité d’actions possibles, ou organiser l’une d’elles.

C’est dire que le système nerveux n’a rien d’un appareil qui servirait à fabriquer ou même à préparer des représentations. Il a pour fonction de recevoir des excitations, de monter des appareils moteurs, et de présenter le plus grand nombre possible de ces appareils à une excitation donnée. Plus il se développe, plus nombreux et plus éloignés deviennent les points de l’espace qu’il met en rapport avec des mécanismes moteurs toujours plus complexes : ainsi grandit la latitude qu’il laisse à notre action, et en cela consiste justement sa perfection croissante. Mais si le système nerveux est construit, d’un bout à l’autre de la série animale, en vue d’une action de moins en moins nécessaire, ne faut-il pas penser que la perception, dont le progrès se règle sur le sien, est tout entière orientée, elle aussi, vers l’action, non vers la connaissance pure ? Et dès lors la richesse croissante de cette perception elle-