Page:Bergson - Matière et mémoire.djvu/48

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partie de lui-même, de manière que le résidu, au lieu de demeurer emboîté dans l’entourage comme une chose, s’en détache comme un tableau. Or, si les êtres vivants constituent dans l’univers des « centres d’indétermination », et si le degré de cette indétermination se mesure au nombre et à l’élévation de leurs fonctions, on conçoit que leur seule pré­sence puisse équivaloir à la suppression de toutes les parties des objets auxquelles leurs fonctions ne sont pas intéressées. Ils se laisseront traverser, en quelque sorte, par celles d’entre les actions extérieures qui leur sont indiffé­rentes ; les autres, isolées, deviendront « perceptions » par leur isolement même. Tout se passera alors pour nous comme si nous réfléchissions sur les surfaces la lumière qui en émane, lumière qui, se propageant toujours, n’eût jamais été révélée. Les images qui nous environnent paraîtront tourner vers notre corps, mais éclairée cette fois, la face qui l’intéresse ; elles détacheront de leur substance ce que nous aurons arrêté au passage, ce que nous sommes capables d’influencer. Indifférentes les unes aux autres en raison du méca­nisme radical qui les lie, elles se présentent réciproquement les unes aux autres toutes leurs faces à la fois, ce qui revient à dire qu’elles agissent et réagissent entre elles par toutes leurs parties élémentaires, et qu’aucune d’elles, par conséquent, n’est perçue ni ne perçoit consciemment. Que si, au contraire, elles se heurtent quelque part à une certaine spontanéité de réaction, leur action est diminuée d’autant, et cette diminution de leur action est justement la représentation que nous avons d’elles. Notre représentation des choses naîtrait donc, en somme, de ce qu’elles viennent se réfléchir contre notre liberté.

Quand un rayon de lumière passe d’un milieu dans un