Page:Bergson - Matière et mémoire.djvu/61

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images ; il y a, dans cet ensemble, des « centres d’action » contre lesquels les images intéressantes semblent se réfléchir ; c’est ainsi que les perceptions naissent et que les actions se préparent. Mon corps est ce qui se dessine au centre de ces perceptions ; ma personne est l’être auquel il faut rapporter ces actions. Les choses s’éclaircissent si l’on va ainsi de la périphérie de la représentation au centre, comme le fait l’enfant, comme nous y invitent l’expérience immédiate et le sens commun. Tout s’obscurcit au contraire, et les problèmes se multiplient, si l’on prétend aller, avec les théoriciens, du centre à la périphérie. D’où vient donc alors cette idée d’un monde extérieur construit artificiellement, pièce à pièce, avec des sensations inextensives dont on ne comprend ni comment elles arriveraient à former une surface étendue, ni comment elles se projetteraient ensuite en dehors de notre corps ? Pourquoi veut-on, contre toute apparence, que j’aille de mon moi conscient à mon corps, puis de mon corps aux autres corps, alors qu’en fait je me place d’emblée dans le monde matériel en général, pour limiter progressivement ce centre d’action qui s’appellera mon corps et le distinguer ainsi de tous les autres ? Il y a, dans cette croyance au caractère d’abord inextensif de notre perception extérieure, tant d’illusions réunies, on trouverait, dans cette idée que nous projetons hors de nous des états purement internes, tant de malentendus, tant de réponses boiteuses à des questions mal posées, que nous ne saurions prétendre à faire la lumière tout d’un coup. Nous espérons qu’elle se fera peu à peu, à mesure que nous montrerons plus clairement, derrière ces illusions, la confusion méta­physique de l’étendue indivisée et de l’espace homogène, la confusion psycho­logique