Page:Bergson - Matière et mémoire.djvu/64

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l’abstraction seule les a séparées ? — Dans la première hypothèse, l’objet matériel n’est rien de tout ce que nous apercevons : on mettra d’un côté le principe conscient avec les qualités sensibles, de l’autre une matière dont on ne peut rien dire, et qu’on définit par des négations parce qu’on l’a dépouillée d’abord de tout ce qui la révèle. Dans la seconde, une connaissance de plus en plus approfondie de la matière est possible. Bien loin d’en retrancher quelque chose d’aperçu, nous devons au contraire rapprocher toutes les qualités sensibles, en retrouver la parenté, rétablir entre elles la continuité que nos besoins ont rompue. Notre perception de la matière n’est plus alors relative ni subjective, du moins en principe et abstraction faite, comme nous le verrons tout à l’heure, de l’affection et surtout de la mémoire ; elle est simplement scindée par la multiplicité de nos besoins. — Dans la première hypothèse, l’esprit est aussi inconnaissable que la matière, car on lui attribue l’indéfinissable capacité d’évoquer des sensations, on ne sait d’où, et de les projeter, on ne sait pourquoi, dans un espace où elles formeront des corps. Dans la seconde, le rôle de la conscience est nettement défini : con­science signifie action possible ; et les formes acquises par l’esprit, celles qui nous en voilent l’essence, devront être écartées à la lumière de ce second principe. On entrevoit ainsi, dans notre hypothèse, la possibilité de distinguer plus clairement l’esprit de la matière, et d’opérer un rapprochement entre eux. Mais laissons de côté ce premier point, et arrivons au second.

Le second fait allégué consisterait dans ce qu’on a appelé pendant long­temps « l’énergie spécifique des nerfs » . On sait que l’excitation du nerf optique par un choc extérieur ou par un