Page:Bergson - Matière et mémoire.djvu/71

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cet organisme a la faculté de se mouvoir pour échapper au danger ou pour réparer ses pertes, l’élément sensitif conserve l’immobilité relative à laquelle la division du travail le condamne. Ainsi naît la douleur, laquelle n’est point autre chose, selon nous, qu’un effort de l’élément lésé pour remettre les choses en place, — une espèce de tendance motrice sur un nerf sensible. Toute douleur doit donc consister dans un effort, et dans un effort impuissant. Toute douleur est un effort local, et c’est cet isolement même de l’effort qui est cause de son impuissance, parce que l’organisme, en raison de la solidarité de ses parties, n’est plus apte qu’aux effets d’ensemble. C’est aussi parce que l’effort est local que la douleur est absolument disproportionnée au danger couru par l’être vivant : le danger peut être mortel et la douleur légère ; la douleur peut être insupportable (comme celle d’un mal de dents) et le péril insignifiant. Il y a donc, il doit y avoir un moment précis où la douleur intervient : c’est lorsque la portion intéressée de l’organisme, au lieu d’accueillir l’excitation, la repous­se. Et ce n’est pas seulement une différence de degré qui sépare la perception de l’affection, mais une différence de nature.

Ceci posé, nous avons considéré le Corps vivant comme une espèce de centre d’où se réfléchit, sur les objets environnants, l’action que ces objets exercent sur lui : en cette réflexion consiste la perception extérieure. Mais ce centre n’est pas un point mathématique : c’est un corps, exposé, comme tous les corps de la nature, à l’action des causes extérieures qui menacent de le désagréger. Nous venons de voir qu’il résiste à l’influence de ces causes. Il ne se borne pas à réfléchir l’action du dehors ; il lutte, et absorbe ainsi — quelque chose de cette