Page:Bergson - Matière et mémoire.djvu/77

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s’y projeter ; puis on s’épuisera en efforts de tout genre pour nous faire comprendre comment les sensations inextensives acquièrent de l’étendue, et choisissent, pour s’y localiser, tels points de l’espace de préférence à tous les autres. Mais cette doctrine n’est pas seulement incapable de nous montrer clairement comment l’inétendu s’étend ; elle rend également inexplicables l’affection, l’extension et la représentation. Elle devra se donner les états affectifs comme autant d’absolus, dont on ne voit pas pourquoi ils apparaissent ou disparaissent à tels ou tels moments dans la conscience. Le passage de l’affection à la représentation restera enveloppé d’un mystère aussi impénétrable, parce que, nous le répétons, on ne trouvera jamais dans des états intérieurs, simples et inextensifs, une raison pour qu’ils adoptent de préférence tel ou tel ordre déterminé dans l’espace. Et enfin la représentation elle-même devra être posée comme un absolu : on ne voit ni son origine, ni sa destination.

Les choses s’éclaircissent, au contraire, si l’on part de la représentation même, c’est-à-dire de la totalité des images perçues. Ma perception, à l’état pur, et isolée de ma mémoire, ne va pas de mon corps aux autres corps : elle est dans l’ensemble des corps d’abord, puis peu à peu se limite, et adopte mon corps pour centre. Et elle y est amenée justement par l’expérience de la double faculté que ce corps possède d’accomplir des actions et d’éprouver des affec­tions, en un mot par l’expérience du pouvoir sensori-moteur d’une certaine image, privilégiée entre toutes les images. D’un côté, en effet, cette image occupe toujours le centre de la représentation, de manière que les autres images s’échelonnent autour d’elle dans