Page:Bergson - Matière et mémoire.djvu/79

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processus par lequel la sensation rejoint l’étendue, le choix par chaque sensation élémentaire d’un point déter­miné de l’espace, demeureront inexpliqués.

Passons sur cette difficulté. Voici l’étendue visuelle constituée. Comment rejoint-elle à son tour l’étendue tactile ? Tout ce que ma vue constate dans l’espace, mon toucher le vérifie. Dira-t-on que les objets se constituent préci­sément par la coopération de la vue et du toucher, et que l’accord des deux sens dans la perception s’explique par ce fait que l’objet perçu est leur œuvre commune ? Mais on ne saurait rien admettre ici de commun, au point de vue de la qualité, entre une sensation visuelle élémentaire et une sensation tactile, puisqu’elles appartiendraient à deux genres entièrement différents. La corres­pondance entre l’étendue visuelle et l’étendue tactile ne peut donc s’expliquer que par le parallélisme de l’ordre des sensations visuelles à l’ordre des sensa­tions tactiles. Nous voici donc obligés de supposer, en outre des sensations visuelles, en outre des sensations tactiles, un certain ordre qui leur est commun, et qui, par conséquent, doit être indépendant des unes et des autres. Allons plus loin : cet ordre est indépendant de notre perception individuelle, puisqu’il apparaît de même à tous les hommes, et constitue un monde matériel où des effets sont enchaînés à des causes, où les phénomènes obéissent à des lois. Nous nous trouvons donc enfin conduits à l’hypothèse d’un ordre objectif et indépendant de nous, c’est-à-dire d’un monde matériel distinct de la sensation.

Nous avons, à mesure que nous avancions, multiplié les données irréduc­tibles et grossi l’hypothèse simple d’où nous étions partis. Mais y avons-nous gagné quelque chose ? Si