Page:Bergson - Matière et mémoire.djvu/82

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dans l’espace, coïncide avec les modifications nécessaires que subit, au milieu des images qui l’influencent, cette image particulière que chacun de nous appelle son corps.

Telle est la théorie simplifiée, schématique, que nous avions annoncée de la perception extérieure. Ce serait la théorie de la perception pure. Si on la tenait pour définitive, le rôle de notre conscience, dans la perception, se bor­nerait à relier par le fil continu de la mémoire une série ininterrompue de visions instantanées, qui feraient partie des choses plutôt que de nous. Que notre conscience ait surtout ce rôle dans la perception extérieure, c’est d’ailleurs ce qu’on peut déduire a priori de la définition même des corps vivants. Car si ces corps ont pour objet de recevoir des excitations pour les élaborer en réactions imprévues, encore le choix de la réaction ne doit-il pas s’opérer au hasard. Ce choix s’inspire, sans aucun doute, des expériences passées, et la réaction ne se fait pas sans un appel au souvenir que des situations analogues ont pu laisser derrière elles. L’indétermination des actes à accomplir exige donc, pour ne pas se confondre avec le pur caprice, la conser­vation des images perçues. On pourrait dire que nous n’avons pas de prise sur l’avenir sans une perspective égale et correspondante sur le passé, que la poussée de notre activité en avant fait derrière elle un vide où les souvenirs se précipitent, et que la mémoire est ainsi la répercussion, dans la sphère de la connaissance, de l’indétermination de notre volonté. — Mais l’action de la mémoire s’étend beaucoup plus loin et plus profondément encore que ne le laisserait deviner cet examen superficiel. Le moment est venu de réintégrer la mémoire dans la perception, de corriger par