Page:Bergson - Matière et mémoire.djvu/87

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ne sera plus cons­truite ou reconstruite, mais touchée, pénétrée, vécue ; et le problème pendant entre le réalisme et l’idéalisme, au lieu de se perpétuer dans des discussions métaphysiques, devra être tranché par l’intuition.

Mais par là aussi nous apercevrons clairement la position à prendre entre l’idéalisme et le réalisme, réduits l’un et l’autre à ne voir dans la matière qu’une construction ou une reconstruction exécutée par l’esprit. Suivant en effet jusqu’au bout le principe que nous avons posé, et d’après lequel la subjectivité de notre perception consisterait surtout dans l’apport de notre mémoire, nous dirons que les qualités sensibles de la matière elles-mêmes seraient connues en soi, du dedans et non plus du dehors, si nous pouvions les dégager de ce rythme particulier de durée qui caractérise notre conscience. Notre perception pure, en effet, si rapide qu’on la suppose, occupe une certaine épaisseur de durée, de sorte que nos perceptions successives ne sont jamais des moments réels des choses, comme nous l’avons supposé jusqu’ici, mais des moments de notre conscience. Le rôle théorique de la conscience dans la perception extérieure, disions-nous, serait de relier entre elles, par le fil continu de la mémoire, des visions instantanées du réel. Mais, en fait, il n’y a jamais pour nous d’instantané. Dans ce que nous appelons de ce nom entre déjà un travail de notre mémoire, et par conséquent de notre conscience, qui prolonge les uns dans les autres, de manière à les saisir dans une intuition relativement simple, des moments aussi nombreux qu’on voudra d’un temps indéfiniment divisible. Or, où est au juste la différence entre la matière, telle que le réalisme le plus exigeant pourrait la concevoir, et la perception que nous en avons ? Notre perception nous livre de l’univers une