Page:Bergson - Matière et mémoire.djvu/95

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que la réalité de l’objet ait été intuitivement perçue, soit qu’elle ait été ration­nellement construite. Mais ici encore une étude du souvenir pourra départager les deux hypothèses. Dans la seconde, en effet, il ne devra y avoir qu’une différence d’intensité, ou plus généralement de degré, entre la perception et le souvenir, puisqu’ils seront l’un et l’autre des phénomènes de représentation qui se suffisent à eux-mêmes. Que si, au contraire, nous trouvons qu’il n’y a pas entre le souvenir et la perception une simple différence de degré, mais une différence radicale de nature, les présomptions seront en faveur de l’hypothèse qui fait intervenir dans la perception quelque chose qui n’existe à aucun degré dans le souvenir, une réalité intuitivement saisie. Ainsi le problème de la mémoire est bien véritablement un problème privilégié, en ce qu’il doit con­duire à la vérification psychologique de deux thèses qui paraissent invérifia­bles, et dont la seconde, d’ordre plutôt métaphysique, semblerait dépasser infiniment la psychologie.

La marche que nous avons à suivre est donc toute tracée. Nous allons commencer par passer en revue les documents de divers genres, empruntés à la psychologie normale ou pathologique, d’où l’on pourrait se croire autorisé à tirer une explication physique de la mémoire. Cet examen sera nécessairement minutieux, sous peine d’être inutile. Nous devons, en serrant d’aussi près que possible le contour des faits, chercher où commence et où finit, dans l’opéra­tion de la mémoire, le rôle du corps. Et c’est au cas où nous trouverions dans cette étude la confirmation de notre hypothèse que nous n’hésiterions pas à aller plus loin, à envisager en lui-même le travail élémentaire de l’esprit, et à compléter ainsi la théorie que nous aurons esquissée des rapports de l’esprit avec la matière.