Page:Bergson - Matière et mémoire.djvu/98

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emmagasiner l’action du passé. D’où résulterait que les images passées proprement dites se conservent autrement, et que nous devons, par consé­quent, formuler cette première hypothèse :

I. Le passé se survit sous deux formes distinctes : dans des mécanismes moteurs ; dans des souvenirs indépendants.

Mais alors, l’opération pratique et par conséquent ordinaire de la mémoire, l’utilisation de l’expérience passée pour l’action présente, la reconnaissance enfin, doit s’accomplir de deux manières. Tantôt elle se fera dans l’action même, et par la mise en jeu tout automatique du mécanisme approprié aux circonstances ; tantôt elle impliquera un travail de l’esprit, qui ira chercher dans le passé, pour les diriger sur le présent, les représentations les plus capa­bles de s’insérer dans la situation actuelle. D’où notre seconde proposition :

II. La reconnaissance d’un objet présent se fait par des mouvements quand elle procède de l’objet, par des représentations quand elle émane du sujet.

Il est vrai qu’une dernière question se pose, celle de savoir comment se conservent ces représentations et quels rapports elles entretiennent avec les mécanismes moteurs. Cette question ne sera approfondie que dans notre prochain chapitre, quand nous aurons traité de l’inconscient et montré en quoi consiste, au fond, la distinction du passé et du présent. Mais, dès maintenant nous pouvons parler du corps comme d’une limite mouvante entre l’avenir et le passé, comme d’une pointe mobile que notre passé pousserait incessamment dans notre avenir. Tandis que mon corps, envisagé dans un instant unique, n’est qu’un conducteur interposé entre les objets qui l’influencent et les objets sur lesquels il agit, en revanche, replacé