Page:Berlioz - À travers chants, 1862.djvu/156

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homme doué d’un vrai génie, de cette réunion de facultés qui comporte nécessairement, avec la puissance créatrice, le bon sens à sa plus haute expression, la force, l’esprit, le courage et un certain mépris des jugements de la foule, paraisse à ces époques crépusculaires, et, en dépit de tous les obstacles, il fait faire à l’art spécial auquel il s’est voué, un mouvement subit de progression, s’il ne peut à lui seul opérer son émancipation complète. Tel fut Gluck, dont nous allons étudier la grande œuvre.

Nous avons vu ce que l’Alceste d’Euripide était devenue entre les mains de Quinault et l’étrange poésie

Que Lulli refroidit des sons de sa musique.

Plus tard, un homme qui n’était pas, comme le musicien florentin, écuyer, conseiller, secrétaire du roi maison couronne de France et de ses finances, pas même surintendant de la musique d’une majesté quelconque, mais qui avait une puissante intelligence, un cœur chaud plein de l’amour du beau, et un esprit hardi, Gluck enfin jeta les yeux sur l’Alceste d’Euripide et la choisit pour texte d’un opéra. Il comptait écrire cet ouvrage d’un style tel, que ce fût le point de départ d’une révolution radicale dans la musique dramatique. Gluck vivait alors à Vienne, après avoir fait un long séjour en Italie. Et c’est pendant ce voyage qu’il avait pris en si profond mépris le système de composition musicale, seul alors en usage dans les théâtres, qui choquait à la fois le bon sens et les plus nobles instincts du cœur humain, d’après lequel un opéra devait être en général un prétexte pour faire briller des chanteurs venant sur la scène jouer du larynx comme dans un concert les virtuoses y viennent jouer de la clarinette ou du hautbois.

Il vit que l’art musical possédait une puissance bien autrement grande que celle de chatouiller l’oreille par d’agréables vocalisations, et il se demanda pourquoi cette puissance expres-