Page:Berlioz - À travers chants, 1862.djvu/162

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d’Alceste, je me proposai d’éviter tous les abus que la vanité mal entendue des chanteurs et l’excessive complaisance des compositeurs avaient introduits dans l’opéra italien, et qui du plus pompeux et du plus beau de tous les spectacles en avaient fait le plus ennuyeux et le plus ridicule ; je cherchai à réduire la musique à sa véritable fonction, celle de seconder la poésie pour fortifier l’expression des sentiments et l’intérêt des situations sans interrompre l’action et la refroidir par des ornements superflus ; je crus que la musique devait ajouter à la poésie ce qu’ajoutent à un dessin correct et bien composé la vivacité des couleurs et l’accord heureux des lumières et des ombres qui servent à animer les figures sans en altérer les contours.

« Je me suis bien gardé d’interrompre un acteur dans la chaleur du dialogue, pour lui faire attendre la fin d’une ritournelle, ou de l’arrêter au milieu de son discours sur une voyelle favorable, soit pour déployer dans un long passage l’agilité de sa belle voix, soit pour attendre que l’orchestre lui donnât le temps de reprendre haleine pour faire une cadence. Je n’ai pas cru devoir passer rapidement sur la seconde partie d’un air, bien qu’elle fût la plus passionnée et la plus importante, et finir l’air quand le sens ne finit pas, pour donner facilité au chanteur de faire voir qu’il peut varier capricieusement un passage de diverses manières ; en somme, j’ai tenté de bannir tous ces abus contre lesquels depuis longtemps réclamaient en vain le bon sens et la raison.

« J’ai imaginé que l’ouverture devait prévenir les spectateurs sur le caractère de l’action qu’on allait mettre sous leurs yeux et leur en indiquer le sujet ; que les instruments ne devaient être mis en action qu’en proportion du degré d’intérêt ou de passion, et qu’il fallait éviter de laisser dans le dialogue une disparate trop tranchante entre l’air et le récitatif, ne pas tronquer à contre-sens la période et ne pas interrompre mal à propos le mouvement et la chaleur de la scène. J’ai cru encore