Page:Berlioz - À travers chants, 1862.djvu/171

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accents jusqu’à l’explosion finale, des difficultés dont la plupart des cantatrices ne se doutent pas.

La troisième scène s’ouvre dans le temple d’Apollon. Entrent le grand-prêtre, les sacrificateurs avec les trépieds enflammés et les instruments du sacrifice, ensuite Alceste conduisant ses enfants, les courtisans, le peuple. Ici Gluck a fait de la couleur locale s’il en fut jamais ; c’est la Grèce antique qu’il nous révèle dans toute sa majestueuse et belle simplicité. Écoutez ce morceau instrumental, sur lequel entre le cortége ; entendez (si vous n’avez pas près de vous quelque parleur impitoyable) cette mélodie douce, voilée, calme, résignée, cette pure harmonie, ce rhythme à peine sensible des basses dont les mouvements onduleux se dérobent sous l’orchestre, comme les pieds des prêtresses sous leurs blanches tuniques ; prêtez l’oreille à la voix insolite de ces flûtes dans le grave, à ces enlacements des deux parties de violon dialoguant le chant, et dites s’il y a en musique quelque chose de plus beau, dans le sens antique du mot, que cette marche religieuse. L’instrumentation en est simple, mais exquise ; il n’y a que les instruments à cordes et deux instruments à vent. Et là, comme en maint autre passage de ses œuvres, se décèle l’instinct de l’auteur ; il a trouvé précisément les timbres qu’il fallait. Mettez deux hautbois à la place des flûtes et vous gâterez tout.

La cérémonie commence par une prière dont le grand-prêtre seul a prononcé d’un ton solennel les premiers mots : « Dieu puissant, écarte du trône, » entrecoupés de trois larges accords d’ut pris à demi-voix, puis enflés jusqu’au fortissimo par les instruments de cuivre. Rien de plus imposant que ce dialogue entre la voix du prêtre et cette harmonie pompeuse des trompettes sacrées. Le chœur, après un court silence, reprend les mêmes paroles dans un morceau assez animé à six-huit, dont la forme et la mélodie frappent d’étonnement par leur étrangeté. On s’attend, en effet, à ce qu’une prière soit d’un mouvement lent et dans une mesure tout autre que la mesure à six-