Page:Berlioz - À travers chants, 1862.djvu/191

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Ô ciel ! quel supplice et quelle douleur !
xxIl faut quitter tout ce que j’aime !
xxCet effort, ce tourment extrême,
xxEt me déchire et m’arrache le cœur !

Les paroles sont entrecoupées : Il faut — quitter — tout ce — que j’aime. Ici la faute de prosodie (tout ce) est une beauté. Alceste sanglote et ne peut plus parler ; et enfin la voix parvenue sur le la bémol aigu se porte avec effort vers le la naturel à ces mots : M’arrache le cœur !

Rendons ici justice au traducteur français ; il a trouvé cette expression incomparablement plus forte et qui rend bien mieux l’image musicale que le vers de Calsabigi dans l’Alceste italienne :

E lasciar li nel pianto cosi.

Alceste tombe de nouveau sur son siége, à demi évanouie. Le chœur reprend, un chœur moralisant comme le chœur antique :

Ah ! que le songe de la vie
Avec rapidité s’enfuit !

Dans ce morceau se trouve, vers la fin, une belle période dite par toutes les voix à l’octave et à l’unisson :

Et la parque injuste et cruelle
De son bonheur tranche le cours.


dont l’effet est d’autant meilleur que Gluck a plus rarement usé de ce procédé aujourd’hui banal.

L’acte se termine par Alceste seule, à qui l’on vient d’amener ses enfants et qui répète en les pressant sur son sein, avec un redoublement d’anxiété, son agitato :

Ô ciel ! quel supplice et quelle douleur !


pendant que le chœur, consterné par ce douloureux spectacle, garde le silence. Cette scène est de celles qui ont fait dire avec tant de raison à l’un des contemporains de Gluck qu’il avait