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À TRAVERS CHANTS

« Il faut faire le contraire de ce qu’enseignent les règles.

« On est las de la mélodie ; on est las des dessins mélodiques ; on est las des airs, des duos, des trios, des morceaux dont le thème se développe régulièrement ; on est rassasié des harmonies consonnantes, des dissonances simples, préparées et résolues, des modulations naturelles et ménagées avec art.

« Il ne faut tenir compte que de l’idée, ne pas faire le moindre cas de la sensation.

« Il faut mépriser l’oreille, cette guenille, la brutaliser pour la dompter : la musique n’a pas pour objet de lui être agréable. Il faut qu’elle s’accoutume à tout, aux séries de septièmes diminuées ascendantes ou descendantes, semblables à une troupe de serpents qui se tordent et s’entre-déchirent en sifflant ; aux triples dissonances sans préparation ni résolution ; aux parties intermédiaires qu’on force de marcher ensemble sans qu’elles s’accordent ni par l’harmonie ni par le rhythme, et qui s’écorchent mutuellement ; aux modulations atroces, qui introduisent une tonalité dans un coin de l’orchestre avant que dans l’autre la précédente soit sortie.

« Il ne faut accorder aucune estime à l’art du chant, ne songer ni à sa nature ni à ses exigences.

« Il faut, dans un opéra, se borner à noter la déclamation, dût-on employer les intervalles les plus inchantables, les plus saugrenus, les plus laids.

« Il n’y a point de différence à établir entre la musique destinée à être lue par un musicien tranquillement assis devant son pupitre et celle qui doit être chantée par cœur, en scène, par un artiste obligé de se préoccuper en même temps de son action dramatique et de celle des autres acteurs.

« Il ne faut jamais s’inquiéter des possibilités de l’exécution.

« Si les chanteurs éprouvent à retenir un rôle, à se le mettre dans la voix, autant de peine qu’à apprendre par cœur une page de sanscrit ou à avaler une poignée de coquilles de noix,