Page:Berlioz - À travers chants, 1862.djvu/326

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pour un bain de pieds et que j’étais tout bonnement tombé dans la vase, je me mis à rire et je sortis du Tibre en chantant :

Pauvre soldat, je reverrai la France,


précisément sur la phrase si longuement et si inutilement cherchée deux ans auparavant : « Ah ! m’écriai-je, voilà mon affaire ; mieux vaut tard que jamais ! » Et la cantate s’acheva.

Je reviens à mon symphoniste. Supposons son œuvre terminée : il la relit, l’examine avec attention ; il en est content ; il trouve, lui aussi, que cela est bon. À partir de ce moment, le désir d’en faire copier les parties l’obsède, et, après une résistance plus ou moins longue, il finit toujours par y céder. Il dépense en conséquence, pour ces copies, une assez forte somme ; mais quoi ! il faut bien semer pour recueillir ! Cherchons maintenant une occasion pour faire entendre la nouvelle symphonie. Il y a des sociétés musicales possédant toutes un orchestre vaillant et fort capable de bien exécuter de telles œuvres. Hélas ! l’occasion peut-être ne viendra jamais. La symphonie n’est pas demandée ; si l’auteur la propose, elle n’est pas acceptée ; si elle est acceptée, on la trouve trop difficile, le temps manque pour la bien étudier ; si on peut la répéter assez et l’exécuter dignement, le public la trouve d’un style trop sévère et n’y comprend rien ; si, au contraire, le public lui fait bon accueil, deux jours après néanmoins elle est oubliée, et le compositeur demeure Gros-Jean comme devant. S’il s’avise de donner un concert, c’est bien pis : il doit supporter des frais énormes pour la salle, les exécutants, les affiches, etc., et payer en outre un impôt considérable au fermier du droit des hospices. Sa symphonie, entendue une fois, n’en est pas moins rapidement oubliée ; il s’est donné des peines infinies et il a perdu beaucoup d’argent.

S’il ose proposer ensuite à un éditeur de publier sa partition, celui-ci le regarde d’un air étonné, se demandant si le compositeur a perdu la tête, et répond : Nous avons beaucoup de