Page:Berlioz - Correspondance inédite, 1879, 2e éd. Bernard.djvu/174

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Les gens mêmes que j’ai tant de fois obligés et soutenus par mes feuilletons en ont-ils montré jamais la moindre reconnaissance réelle ? Et croyez-vous que je sois la dupe d’une foule de gens au sourire empressé, et qui ne cachent leurs ongles et leurs dents que parce qu’ils savent que j’ai des griffes et des défenses ?… Ne voir partout qu’imbécillité, indifférence, ingratitude ou terreur… voilà mon lot à Paris. Encore si mes amis y étaient heureux ! Mais, loin de là, vous êtes presque tous esclaves, dans des positions gênantes et gênées ; je ne puis rien pour vous et vos efforts pour moi sont impuissants.

La France donc est effacée de ma carte musicale, et j’ai pris mon parti d’en détourner le plus possible mes yeux et ma pensée. Je ne suis pas aujourd’hui dans la moindre disposition mélancolique, je n’ai pas de spleen ; je vous parle avec le plus grand sang-froid, la plus entière lucidité d’esprit. Je vois ce qui est.

Un vif regret pour moi, dans mes absences de plus en plus fréquentes de Paris, c’est de ne pas vous voir ; et vous n’en doutez pas, j’espère. Vous savez combien j’apprécie la rectitude de jugement, la bonté d’âme et l’amour de l’art dont vous m’avez donné tant de preuves. Pardonnez-moi donc de vous faire aussi franchement ma profession de foi nationale.