Page:Berlioz - Correspondance inédite, 1879, 2e éd. Bernard.djvu/196

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Il faut que je vous remercie maintenant de la proposition que vous me faites au sujet de votre Stabat. Malheureusement, vous êtes à mille lieues de vous douter de l’état musical au milieu duquel nous avons la honte de vivre à Paris. Notre Société philharmonique n’a pas encore essayé de reprendre ses séances et je ne sais si elle les recommencera. Les recettes étaient si faibles, que les artistes n’y gagnaient presque rien. De là leur inexactitude désespérante aux répétitions, de là l’impossibilité de leur faire apprendre un important ouvrage nouveau.

J’ai fini l’an dernier trois partitions nouvelles, et, à l’heure qu’il est, je n’ai pas pu trouver l’occasion d’en entendre une note, et pas un éditeur n’a osé les publier. Je crois en outre que l’exécution et la vente d’un Stabat sont encore plus difficiles que celles de tout autre ouvrage, à cause de l’impossibilité d’obtenir des Parisiens l’attention nécessaire à une composition grave et triste.

Voilà l’exacte vérité.

Rien n’est plus possible à Paris, et je crois que, le mois prochain, je vais retourner en Angleterre où le désir d’aimer la musique est au moins réel et persistant. Ici toute place est prise ; les médiocrités se mangent entre elles et l’on assiste au combat et aux repas de ces chiens avec presque autant de colère que de dégoût.

Les jugements de la presse et du public sont d’une sottise et d’une frivolité dont rien ne peut offrir d’exemple chez les autres nations. Chez nous, le beau, ce n’est pas le laid, c’est le plat ; on n’aime pas plus le mauvais que le bon, on préfère le médiocre ; le sentiment du vrai dans l’art est aussi éteint que celui du juste en morale, et, sans l’énergie