Page:Berlioz - Correspondance inédite, 1879, 2e éd. Bernard.djvu/254

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partition[1] se fait, comme les stalactites se forment dans les grottes humides, et presque sans que j’en aie conscience. J’achève en ce moment d’instrumenter le finale monstre du premier acte, qui m’avait jusqu’à hier donné de graves inquiétudes à cause de ses dimensions. Mais j’ai envoyé Rocquemont me chercher au Conservatoire la partition d’Olympie de Spontini, où se trouve une marche triomphale dans le même mouvement que la mienne et dont les mesures ont la même durée que celles de mon finale. J’ai compté les mesures ; il y en a 347, et je n’en ai, moi, que 244. D’ailleurs, il n’y a point d’action durant cet immense développement processionnel de la marche d’Olympie, tandis que j’ai une Cassandre qui occupe la scène pendant le déroulement du cortège du cheval de bois dans le lointain. Enfin cela peut aller[2].

J’ai entièrement fini aussi le duo et le finale du quatrième acte. Voyez avec quelle facilité vous m’entraînez à vous parler de mon ouvrage !… Ah ! je n’ai pas d’illusions, non, et vous me faites rire avec ces vieux mots de mission à remplir ! quel missionnaire !… Mais il y a en moi une mécanique inexplicable qui fonctionne malgré tous les raisonnements, et je la laisse faire, parce que je ne puis l’empêcher de fonctionner.

Ce qui me dégoûte le plus, c’est la certitude où je suis de la non-existence du beau pour l’incalculable majorité des singes humains !…

  1. La partition des Troyens.
  2. Berlioz n’en était encore qu’à la première partie de son opéra : la Prise de Troie, c’est-à-dire celle qui n’a jamais été jouée et que nous ne connaissons pas.