Page:Berlioz - Correspondance inédite, 1879, 2e éd. Bernard.djvu/32

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Moore, auteur qu’il venait de découvrir et qui lui causait une impression profonde. La belle jeunesse, les espérances en l’avenir, l’ont consolé des rigueurs du présent ; sa pensée s’est envolée vers les triomphes futurs et son front a frissonné sous les lèvres imaginaires d’une bonne fée qui lui promettait le génie et le succès. O songes délicieux ! les plus doux, les plus enchanteurs, ne se font-ils pas dans ces mansardes d’artistes, traversées par la bise de l’hiver ou chauffées par la violente canicule de juillet ? avoir devant soi un horizon infini et songer qu’on remplira de bruit, de lumière et d’ambition assouvie, tout cet espace ! fouler aux pieds les ennemis, ou, mieux encore, se sentir la force et le dédain de leur pardonner ! Toucher au but et être récompensé de tant d’efforts par les caresses d’une femme aimée !… N’est-ce pas là ce qui se rêve à chaque instant sous les lambris peu dorés d’un sixième étage et ce qu’emporte vers les nuages la fumée de la grande ville, aux approches du soir ?

En mai 1827, la gêne des deux camarades semble avoir cessé ; l’un deux, je crois que c’est Charbonnel, annonce sur son cahier de dépenses, qu’il va partir : pour où ? Nous l’ignorons. Toujours est-il que celui-là se livre à de nombreux achats assez excentriques : une paire d’éperons, un ruban avec clef et anneau doré, une paire de bamboches ; on sent le jeune homme qui veut briller et faire bonne figure en province ; il porte son chapeau chez le chapelier et fait repasser ses rasoirs[1]. Franchement, l’année avait été rude. Dans un moment de désespoir, Berlioz, à bout de ressources, avait sollicité et obtenu une place de choriste sur les planches du théâtre des Nouveautés ; cette profession bizarre ne

  1. Cahier des dépenses de Berlioz ; manuscrit autographe communiqué par madame Damcke.