Page:Berlioz - Correspondance inédite, 1879, 2e éd. Bernard.djvu/361

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Je n’essayerai pas de vous décrire les applaudissements pour la Fête de Roméo et Juliette et pour l’Offertoire du Requiem. Seulement, j’ai éprouvé une mortelle angoisse quand ce dernier morceau, qu’on avait voulu absolument, à cause de l’effet qu’il avait produit à Pétersbourg, a commencé. En entendant ce chœur de trois cents voix répéter toujours ses deux notes, je me suis figuré tout de suite l’ennui croissant de cette foule, et j’ai eu peur qu’on ne me laissât pas achever. Mais la foule avait compris ma pensée, son attention redoublait et l’expression de cette humilité résignée l’avait saisie.

À la dernière mesure, une immense acclamation a éclaté de toutes parts ; j’ai été rappelé quatre fois ; l’orchestre et les chœurs s’en sont ensuite mêlés ; je ne savais plus où me mettre. C’est la plus grande impression que j’aie produite dans ma vie. On a aussitôt envoyé une dépêche à la grande-duchesse pour l’informer de cette émotion populaire…

Après-demain, on me donne une fête dans la salle de l’assemblée des Nobles, où sera toute la ville artiste de Moscou. Après quoi, je repartirai pour Saint-Pétersbourg… Je suis bien exténué, mais heureux aussi de ce beau résultat. Adieu, mon cher ami ; je vous embrasse de tout mon cœur.

Je remercie bien Heller d’avoir été assez bon pour m’envoyer le volume des Mémoires. Malgré nos précautions, le livre a mis douze jours pour arriver entre mes mains. Je n’ai pu le remettre à la princesse que le jour de mon départ pour Moscou.

Si vous avez un instant pour voir Reyer, faites-le. Adieu à madame Damcke, dont je n’ai pas encore vu la sœur.