Page:Berlioz - Les Grotesques de la musique, 1859.djvu/134

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le prévoir. Le chef d’orchestre entend en lui-même retentir plus fort qu’auparavant cette éloquente exclamation : Krrrr ! et, se penchant vers la diva, il lui dit de sa voix la plus douce et avec un sourire qui ne semble avoir rien de contraint :

« Si vous chantez ainsi ce morceau, vous aurez des ennemis dans la salle, je vous en préviens.

— Vous croyez ?

— J’en suis sûr.

— Oh ! mon Dieu ! mais… je vous demande conseil… Il faut peut-être chanter Mozart simplement, tel qu’il est. C’est vrai, nous sommes en Allemagne ; je n’y pensais pas… Je suis prête à tout, Monsieur.

— Oui, oui, courage ; risquez ce coup de tête ; chantez Mozart simplement. Il y avait autrefois des airs, voyez-vous, destinés à être brodés, embellis par les chanteurs ; mais ceux-là en général furent écrits par des valets de cantatrice, et Mozart est un maître ; il passe même pour un grand maître qui ne manquait pas de goût. »

On recommence l’air. La cantatrice, décidée à boire le calice jusqu’à la lie, chante simplement ce miracle d’expression, de sentiment, de passion, de beau style, elle n’en change que deux mesures seulement, pour l’honneur du corps. À peine a-t-elle fini que cinq ou six personnes, arrivées dans la salle au moment où l’on recommençait le morceau, s’avancent pleines d’enthousiasme vers la cantatrice en se récriant : « Mille compliments, madame ; comme vous chantez purement et