Page:Berlioz - Les Grotesques de la musique, 1859.djvu/150

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pas de berger goitreux déguenillé… pas d’oiseaux domestiques, poules ou dindons, rappelant la basse-cour, l’écurie, etc. Silence et paix partout ; sous un léger souffle de la brise, les bruyères agitent doucement leurs petits panaches roses ; deux alouettes passent à tire-d’aile… poursuite amoureuse… l’une des deux disparaît dans un champ de blé, l’autre commence à s’élever en spirale en préludant à son grand hymne de joie. Gœthe l’a dit : « Il n’est personne qui ne se sente pressé d’un sentiment profond quand l’alouette invisible dans l’air répand au loin sa chanson joyeuse. » C’est le plus poétique des oiseaux. Ne me parlez pas de votre classique rossignol, Philomela sub umbrâ, à qui il faut pour salles de concert des bocages fleuris et sonores, qui chante la nuit pour se faire remarquer, qui regarde si on l’écoute, qui toujours vise à l’effet dans ses pompeuses cavatines avec trilles et roulades, qui singe par certains accents l’expression d’une douleur qu’il ne ressent pas, un oiseau qui a de gros yeux avides, qui mange de gros vers et qui demanderait volontiers des claqueurs. C’est un vrai ténor à cent mille francs d’appointements.

Mais voyez et écoutez le mâle de l’alouette ; celui-là est un artiste. Insoucieux de l’effet qu’il peut produire, il chante parce que c’est un bonheur pour lui de chanter ; il lui faut l’air libre, l’espace infini. Voyez-le au soir d’un beau jour, quand la nuit déjà fait pressentir son approche, voyez-le s’élancer saluant le soleil qui décline à l’horizon, l’étoile qui scintille en perçant la