Page:Berlioz - Les Grotesques de la musique, 1859.djvu/204

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y fit ajuster tant bien que mal les vers du traducteur anglais. On devine le bouffon contre-sens qui en résulta ; l’enfant s’écriant dans un paroxysme d’épouvante : « Mon père ! mon père ! j’ai peur ! » sur la musique destinée aux paroles : « Calme-toi, mon fils, etc. », et réciproquement.

Les traductions des opéras de Gluck sont émaillées de gentillesses pareilles.

Et le malheur veut que l’ancienne édition française, la seule où l’on puisse retrouver intacte la pensée du maître (je parle de celle des grandes partitions), devienne de jour en jour plus rare, et soit très-mauvaise sous le double rapport de l’ordonnance et de la correction. Un déplorable désordre et d’innombrables fautes de toute espèce la déparent.

Dans peu d’années, quelques exemplaires de ces vastes poëmes dramatiques, de ces inimitables modèles de musique expressive resteront seuls dans les grandes bibliothèques, incompréhensibles débris de l’art d’un autre âge, comme autant de Memnons qui ne feront plus entendre de sons harmonieux, sphinx colossaux qui garderont éternellement leur secret. Personne n’a osé en Europe entreprendre une édition nouvelle, et soignée, et mise en ordre, et annotée, et bien traduite en allemand et en italien des six grands opéras de Gluck. Aucune tentative sérieuse de souscription à ce sujet n’a été faite. Personne n’a eu l’idée de risquer vingt mille francs (cela ne coûterait pas davantage) pour combattre ainsi les causes de plus en plus nom-