Page:Berlioz - Les Grotesques de la musique, 1859.djvu/226

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n’est plus facile ; il s’agit seulement de savoir sur quelle prose. Les illustres chefs-d’œuvre de l’art religieux, messes et oratorios, ont été écrits par Hændel, Haydn, Bach, Mozart, sur de la prose anglaise, allemande et latine. « Oui, dit-on, cela se peut en latin, en allemand et en anglais, mais c’est impraticable en français. » On appelle toujours chez nous impraticable ce qui est impratiqué. Or ce n’est pas même impratiqué ; il y a de la musique écrite sur de la prose française, et il y en aura tant qu’on voudra. Dans les opéras les plus célèbres on entend chaque jour des passages où les vers de l’auteur du livret ont été disloqués par le compositeur, brisés, hachés, dénaturés par la répétition de certains mots et par l’addition même de certains autres, de telle sorte que ces vers sont devenus en réalité de la prose, et cette prose se trouve convenir et s’adapter à la pensée du musicien que les vers contrariaient.

Cela se chante pourtant sans peine, et le morceau de musique n’en est pas moins beau comme musique pure ; et la mélodie se moque de vos prétentions à la guider, à la soutenir par des formes littéraires arrêtées à l’avance par un autre que le compositeur.

Un librettiste critiquait violemment devant moi les vers d’un opéra nouveau :

« Quels rhythmes ! » disait-il, « quel désordre ! C’est comme de la prose. Ici un grand vers, là un petit vers, aucune concordance dans la distribution des accents, les longues et les brèves jetées au hasard ! quel tohu-bohu ! Faites donc de la musique là-dessus ! »