Page:Berlioz - Les Soirées de l’orchestre, 1854.djvu/99

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ordinaires, et cinq cents au moins pour toutes les premières et pour les débuts importants. — Vous les aurez, et plus encore. » — « Comment ! dit un musicien en m’interrompant, c’est le directeur qui est payé !… j’avais toujours cru le contraire ! — Oui, monsieur, ces charges-là s’achètent comme une charge d’agent de change, un cabinet de notaire, une étude d’avoué.

Une fois nanti de sa commission, le chef du bureau des succès, l’empereur des Romains, recrute aisément son armée parmi les garçons coiffeurs, les commis voyageurs, les conducteurs de cabriolet à pied [1], les pauvres étudiants, les choristes aspirants au surnumérariat, etc., etc., qui ont la passion du théâtre. Il choisit pour eux un lieu de rendez-vous, qui, d’ordinaire, est un café borgne ou un estaminet voisin du centre de leurs opérations. Là, il les compte, leur donne ses instructions et des billets de parterre ou de troisième galerie, que ces malheureux payent trente ou quarante sous, ou moins, selon le degré de l’échelle théâtrale qu’occupe leur établissement. Les lieutenants seuls ont toujours des billets gratuits. Aux grands jours, ils sont payés par le chef. Il arrive même, s’il s’agit de faire mousser à fond un ouvrage nouveau qui a coûté à la direction du théâtre beaucoup d’argent, que le chef, non-seulement ne trouve plus assez de Romains payants, mais qu’il manque de soldats dévoués prêts à livrer bataille pour l’amour de l’art. Il est alors obligé de payer le complément de sa troupe et de donner à chaque homme jusqu’à trois francs et un verre d’eau-de-vie.

Mais, dans ce cas, l’empereur, de son côté, ne reçoit pas uniquement des billets de parterre ; ce sont des billets de banque qui tombent dans sa poche, et en nombre à peine croyable. Un des artistes qui figurent dans la pièce nouvelle, veut se faire soutenir d’une façon exceptionnelle ; il propose quelques billets à l’empereur. Celui-ci prend son air le plus

  1. Quand un conducteur de cabriolet a encouru le mécontentement de M. le préfet de police, celui-ci lui interdit pendant deux ou trois semaines de faire son métier de cocher, auquel cas, le malheureux qui ne gagne rien, ne va certes pas en voiture. Il est à pied. Il entre alors souvent dans l’infanterie romaine.