Page:Berlioz - Mémoires, 1870.djvu/106

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voulut qu’à ce moment même je visse miss Smithson monter en voiture devant sa porte et partir pour Amsterdam…………..

Il est bien difficile de décrire une souffrance pareille à celle que je ressentis ; cet arrachement de cœur, cet isolement affreux, ce monde vide, ces mille tortures qui circulent dans les veines avec un sang glacé, ce dégoût de vivre et cette impossibilité de mourir ; Shakespeare lui-même n’a jamais essayé d’en donner une idée. Il s’est borné, dans Hamlet, à compter cette douleur parmi les maux les plus cruels de la vie.

Je ne composais plus ; mon intelligence semblait diminuer autant que ma sensibilité s’accroître. Je ne faisais absolument rien… que souffrir.


XXV


Troisième concours à l’Institut. — On ne donne pas de premier prix. — Conversation curieuse avec Boïeldieu. — La musique qui berce.


Le mois de juin revenu m’ouvrit de nouveau la lice de l’Institut. J’avais bon espoir d’en finir cette fois ; de tous côtés m’arrivaient les prédictions les plus favorables. Les membres de la section de musique laissaient eux-mêmes entendre que j’obtiendrais à coup sûr le premier prix. D’ailleurs je concourais, moi lauréat du second prix, avec des élèves qui n’avaient encore obtenu aucune distinction, avec de simples bourgeois ; et ma qualité de tête couronnée me donnait sur eux un grand avantage. À force de m’entendre dire que j’étais sûr de mon fait, je fis ce raisonnement malencontreux dont l’expérience ne tarda pas à me prouver la fausseté : « Puisque ces messieurs sont décidés d’avance à me donner le premier prix, je ne vois pas pourquoi je m’astreindrais, comme l’année dernière, à écrire dans leur style et dans leur sens, au lieu de me laisser aller à mon sentiment propre et au style qui m’est naturel. Soyons sérieusement artiste et faisons une cantate distinguée. »