Page:Berlioz - Mémoires, 1870.djvu/118

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cet appel, un peu chanceux pour vous à la vérité, et que, de manière ou d’autre, vous me mettrez à même de vous témoigner de vive voix et ma reconnaissance personnelle et le plaisir avec lequel je m’associe aux espérances que fondent sur votre audacieux talent les vrais amis du bel art que vous cultivez ?

»rouget de lisle.»

J’ai su plus tard que Rouget de Lisle, qui, pour le dire en passant, a fait bien d’autres beaux chants que la Marseillaise, avait en portefeuille un livret d’opéra sur Othello, qu’il voulait me proposer. Mais devant partir de Paris le lendemain du jour où je reçus sa lettre, je m’excusai auprès de lui en remettant à mon retour d’Italie la visite que je lui devais. Le pauvre homme mourut dans l’intervalle. Je ne l’ai jamais vu.

Quand le calme eut été rétabli tant bien que mal dans Paris, quand Lafayette eut présenté Louis-Philippe au peuple en le proclamant la meilleure des républiques, quand le tour fut fait enfin, la machine sociale recommençant à fonctionner, l’Académie des Beaux-Arts reprit ses travaux. L’exécution de nos cantates du concours eut lieu (au piano toujours) devant les deux aréopages dont j’ai déjà fait connaître la composition. Et tous les deux, grâce à un morceau que j’ai brûlé depuis lors, ayant reconnu ma conversion aux saines doctrines m’accordèrent enfin, enfin, enfin... le premier prix. J’avais éprouvé de très-vifs désappointements aux concours précédents où je n’avais rien obtenu, je ressentis peu de joie quand Pradier le statuaire, sortant de la salle des conférences de l’Académie vint me trouver dans la bibliothèque où j’attendais mon sort, et me dit vivement en me serrant la main : «Vous avez le prix !» À le voir si joyeux et à me voir si froid, on eût dit que j’étais l’académicien et qu’il était le lauréat. Je ne tardai pourtant pas à apprécier les avantages de cette distinction. Avec mes idées sur l’organisation du concours, elle devait flatter médiocrement mon amour-propre, mais elle représentait un succès officiel dont l’orgueil de mes parents serait certainement satisfait, elle me donnait une pension de mille écus, mes entrées à tous les théâtres lyriques ; c’était un diplôme, un titre, et l’indépendance et presque l’aisance pendant cinq ans.