Page:Berlioz - Mémoires, 1870.djvu/175

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de son aspect ! Qui n’a admiré, à midi, la mer faisant la sieste et les plis moelleux de sa robe azurée et le bruit flatteur avec lequel elle l’agite doucement ! Perdu, à minuit, dans le cratère du Vésuve, qui n’a senti un vague sentiment d’effroi aux sourds roulements de son tonnerre intérieur, aux cris de fureur qui s’échappent de sa bouche, à ce explosions, à ces myriades de roches fondantes, dirigées contre le ciel comme de brûlants blasphèmes, qui retombent ensuite, roulent sur le col de la montagne et s’arrêtent pour former un ardent collier sur la vaste poitrine du volcan ! Qui n’a parcouru tristement le squelette de cette désolée Pompéia, et, spectateur unique, n’a attendu, sur les gradins de l’amphithéâtre, la tragédie d’Euripide ou de Sophocle pour laquelle la scène semble encore préparée ! Qui n’a accordé un peu d’indulgence aux mœurs des lazzaroni, ce charmant peuple d’enfants, si gai, si voleur, si spirituellement facétieux, et si naïvement bon quelquefois ?

Je me garderai donc d’aller sur les brisées de tant de descripteurs ; mais je ne puis résister au plaisir de raconter ici une anecdote qui peint on ne peut mieux le caractère des pêcheurs napolitains. Il s’agit d’un festin que des lazzaroni me donnèrent, trois jours après mon arrivée, et d’un présent qu’ils me firent au dessert. C’était par un beau jour d’automne, avec une fraîche brise, une atmosphère claire, transparente, à faire croire qu’on pourrait de Naples, sans trop étendre le bras, cueillir des oranges à Caprée. Je me promenais à la villa Reale ; j’avais prié mes camarades de l’Académie romaine de me laisser errer seul ce jour-là. En passant près d’un petit pavillon que je ne remarquais point, un soldat, en faction devant l’entrée me dit brusquement en français :

— Monsieur, levez votre chapeau !

— Pourquoi donc ?

— Voyez !

Et, me désignant du doigt une statue de marbre placée au centre du pavillon, je lus sur le socle ces deux mots qui me firent à l’instant faire le signe de respect que l’enthousiaste militaire me demandait : Torquato Tasso. Cela est bien ! cela est touchant !... mais j’en suis encore à me demander comment la sentinelle du poëte avait deviné que j’étais Français et artiste, et que j’obéirais avec empressement à son injonction. Savant physionomiste ! Je reviens à mes lazzaroni.

Je marchais donc nonchalamment au bord de la mer, en songeant, tout ému, au pauvre Tasso, dont j’avais, avec Mendelssohn, visité la modeste tombe à Rome, au couvent de Sant-Onofrio, quelques mois auparavant, philosophant, à part moi, sur le malheur des poëtes qui sont poëtes par le cœur, etc., etc. Tout d’un coup, Tasso me fit penser à Cervantes, Cervantes à sa charmante pastorale Galathée, Galathée à une délicieuse figure qui brille à côté d’elle dans le roman et qui se nomme Nisida, Nisida à l’île de la baie de Pouzzoles qui porte