Page:Berlioz - Mémoires, 1870.djvu/202

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qui l’accusait d’avoir corrigé les symphonies de Beethoven eût le moindre fondement.

Ce premier acte d’insubordination d’un élève qui, lors de ses débuts avait pourtant été encouragé par M. Fétis, parut d’autant plus impardonnable à celui-ci qu’il y voyait, avec une tendance évidente à l’hérésie musicale, un acte d’ingratitude.

Beaucoup de gens sont ainsi faits. De ce qu’ils ont bien voulu convenir un jour que vous n’êtes pas sans quelque valeur, vous êtes par cela seul tenu de les admirer à jamais, sans restriction, dans tout ce qu’il leur plaira de faire... ou de défaire ; sous peine d’être traité d’ingrat. Combien de petits grimauds se sont ainsi imaginé, parce qu’ils avaient montré un enthousiasme plus ou moins réel pour mes ouvrages, que j’étais nécessairement un méchant homme quand, plus tard, je n’ai parlé qu’avec tiédeur des plates vilenies qu’ils ont produites sous divers noms, messes ou opéras également comiques.

En partant pour l’Italie, je laissai donc derrière moi, à Paris, le premier ennemi intime acharné et actif dont je me fusse pourvu moi-même. Quant aux autres plus ou moins nombreux que je possédais déjà, je suis obligé de reconnaître que je n’avais aucun mérite à les avoir. Ils étaient nés spontanément comme naissent les animalcules infusoires dans l’eau croupie. Je m’inquiétais aussi peu de l’un que des autres. J’étais même bien plus l’ennemi de Fétis qu’il n’était le mien, et je ne pouvais, sans frémir de colère, songer à son attentat (non suivi d’effet) sur Beethoven. Je ne l’oubliai pas en composant la partie littéraire du Monodrame, et voici ce que je mis dans la bouche de Lélio, dans l’un des monologues de cet ouvrage :

«Mais les plus cruels ennemis du génie sont ces tristes habitants du temple de la Routine, prêtres fanatiques, qui sacrifieraient à leur stupide déesse les plus sublimes idées neuves, s’il leur était donné d’en avoir jamais ; ces jeunes théoriciens de quatre-vingts ans, vivant au milieu d’un océan de préjugés et persuadés que le monde finit avec les rivages de leur île ; ces vieux libertins de tout âge, qui ordonnent à la musique de les caresser, de les divertir, n’admettant point que la chaste muse puisse avoir une plus noble mission ; et surtout ces profanateurs qui osent porter la main sur les ouvrages originaux, leur font subir d’horribles mutilations qu’ils appellent corrections et perfectionnements, pour lesquels, disent-ils il faut beaucoup de goût[1]. Malédiction sur eux ! Ils font à l’art un ridicule outrage ! Tels sont ces vulgaires oiseaux qui peuplent nos jardins publics, se perchent avec arrogance sur les plus belles statues, et, quand ils ont sali le front de Jupiter, le bras d’Hercule ou le sein de Vénus, se pavanent fiers et satisfaits, comme s’ils venaient de pondre un œuf d’or.»

  1. C’était un mot que j’avais recueilli de la bouche même de Fétis.