Page:Berlioz - Mémoires, 1870.djvu/226

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«Quand je reprit l’usage de mes sens Les toits luisaient aux blancheurs de l’aurore, Les coqs chantaient, etc., etc.»

«Oh ! les coqs, disaient-ils, ah ! ah ! les coqs ! pourquoi pas les poules ! etc., etc.»

Que répondre à de pareils idiots ?

Quand nous en vînmes aux répétitions d’orchestre, les musiciens, voyant l’air renfrogné d’Habeneck, se tinrent à mon égard dans la plus froide réserve. Ils faisaient leur devoir cependant. Habeneck remplissait mal le sien. Il ne put jamais parvenir à prendre la vive allure du saltarello dansé et chanté sur la place Colonne au milieu du second acte. Les danseurs ne pouvant s’accommoder de son mouvement traînant, venaient se plaindre à moi et je lui répétais : «Plus vite ! plus vite ! animez donc !» Habeneck, irrité, frappait son pupitre et cassait cinquante archets. Enfin après l’avoir vu se livrer à quatre ou cinq accès de colère semblables, je finis par lui dire avec un sang-froid qui l’exaspéra :

« — Mon Dieu, monsieur, vous casseriez cinquante archets que cela n’empêcherait pas votre mouvement d’être de moitié trop lent. Il s’agit d’un saltarello.»

Ce jour-là Habeneck s’arrêta, et se tournant vers l’orchestre :

« — Puisque je n’ai pas le bonheur de contenter M. Berlioz, dit-il, nous en resterons là pour aujourd’hui, vous pouvez vous retirer.»

Et la répétition finit ainsi[1].

Quelques années après, quand j’eus écrit l’ouverture du Carnaval romain, dont l’allégro a pour thème ce même saltarello qu’il n’a jamais pu faire marcher, Habeneck se trouvait dans le foyer de la salle de Herz le soir du concert où devait être entendue pour la première fois cette ouverture. Il avait appris qu’à la répétition du matin, le service de la garde nationale m’ayant enlevé une partie de mes musiciens, nous avions répété sans instruments à vent. «Bon ! s’était-il dit, il va y avoir ce soir quelque catastrophe dans son concert, il faut aller voir cela !» En arrivant à l’orchestre, en effet, tous les artistes chargés de la partie des instruments à vent m’entourèrent effrayés à l’idée de jouer devant le public une ouverture qui leur était entièrement inconnue.

«N’ayez pas peur, leur dis-je, les parties sont correctes, vous êtes tous des gens de talent, regardez mon bâton le plus souvent possible, comptez bien vos pauses et cela marchera.»

Il n’y eut pas une seule faute. Je lançai l’allégro dans le mouvement tourbillonnant des danseurs transtévérins ; le public cria bis ; nous recommençâmes l’ouverture ; elle fut encore mieux rendue la seconde fois ; et en rentrant

  1. Je ne pouvais conduire moi-même les répétitions de Cellini. En France dans les théâtres, les auteurs n’ont pas le droit de diriger leurs propres ouvrages.