Page:Berlioz - Mémoires, 1870.djvu/227

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au foyer où se trouvait Habeneck un peu désappointé, je lui jetai en passant ces quatre mots : «Voilà ce que c’est !» auxquels il n’eut garde de répondre.

Je n’ai jamais senti plus vivement que dans cette occasion le bonheur de diriger moi-même l’exécution de ma musique ; mon plaisir redoublait en songeant à ce que Habeneck m’avait fait endurer.

Pauvres compositeurs ! Sachez vous conduire, et vous bien conduire ! (avec ou sans calembour) car le plus dangereux de vos interprètes, c’est le chef d’orchestre, ne l’oubliez pas.

Je reviens à Benvenuto.

Malgré la réserve prudente que l’orchestre gardait à mon égard pour ne point contraster avec la sourde opposition que me faisait son chef, néanmoins les musiciens à l’issue des dernières répétitions ne se gênèrent pas pour louer plusieurs morceaux, et quelques-uns déclarèrent ma partition l’une des plus originales qu’ils eussent entendues. Cela revint aux oreilles de Duponchel, et je l’entendis dire un soir : «A-t-on jamais vu un pareil revirement d’opinion ? Voilà qu’on trouve la musique de Berlioz charmante et que nos imbéciles de musiciens la portent aux nues !» Plusieurs d’entre eux néanmoins étaient fort loin de se montrer mes partisans. Ainsi on en surprit deux un soir qui, dans le finale du second acte, au lieu de jouer leur partie, jouaient l’air : J’ai du bon tabac. Ils espéraient par là faire la cour à leur chef. Je trouvais sur le théâtre le pendant à ces polissonneries. Dans ce même finale, où la scène doit être obscure et représente une cohue nocturne de masques sur la place Colonne, les danseurs s’amusaient à pincer les danseuses, joignant leurs cris à ceux qu’ils leur arrachaient ainsi et aux voix des choristes dont ils troublaient l’exécution. Et quand dans mon indignation, pour mettre fin à un si insolent désordre, j’appelais le directeur, Duponchel était toujours introuvable ; il ne daignait point assister aux répétitions.

Bref, l’opéra fut joué. On fit à l’ouverture un succès exagéré, et l’on siffla tout le reste avec un ensemble et une énergie admirables. Il fut néanmoins joué trois fois, après quoi, Duprez ayant cru devoir abandonner le rôle de Benvenuto, l’ouvrage disparut de l’affiche et n’y reparut que longtemps après ; A. Dupond ayant employé cinq mois entiers à apprendre ce rôle qu’il était courroucé de n’avoir pas obtenu en premier lieu.

Duprez était fort beau dans les scènes de violence, telles que le milieu du sextuor quand il menace de briser sa statue ; mais déjà sa voix ne se prêtait plus aux chants doux, aux sons filés, à la musique rêveuse ou calme. Ainsi dans son air, Sur les monts les plus sauvages, il ne pouvait soutenir le sol haut à la fin de la phrase ; Je chanterais gaîment, et, au lieu de la longue tenue de trois mesures que j’ai écrite, il ne faisait qu’un sol bref et détruisait ainsi tout l’effet. Madame Gras-Dorus et madame Stoltz furent l’une et l’autre charmantes dans les rôles